"Cendres et poussières", Renée Vivien. Recueil 2. Partie 2/2

Publié le par Cristie Cyane

"Cendres et poussières", Renée Vivien. Recueil 2. Partie 2/2

 

Ton  âme

 

                            Pour une amie solitaire et triste.

 

Ton âme, c’est la chose exquise et parfumée

Qui s’ouvre avec lenteur, en silence, en tremblant,

Et qui, pleine d’amour, s’étonne d’être aimée.
Ton âme, c’est le lys, le lys divin et blanc.

Comme un souffle des bois remplis de violettes,

Ton souffle rafraîchit le front du désespoir,

Et l’on apprend de toi les bravoures muettes.
Ton âme est le poème, et le chant, et le soir.

 

Ton âme est la fraîcheur, ton âme est la rosée,

Ton âme est ce regard bienveillant du matin

Qui ranime d’un mot l’espérance brisée…

Ton âme est la pitié finale du destin.

 

 

 

 

Sur  le  rythme saphique

 

                            La lune s’est couchée, ainsi que les

                              Pléiades ; il est minuit, l’heure passe, 

                                                                  et je dors solitaire.

                                            Psappha 

 

L’ombre se drapait en des voiles de veuves,

La mer aspirait le sang tiède des fleuves,

L’Aphrodita blonde au regard décevant

                  Riait en rêvant.

 

J’entendis gémir, au profond de l’espace,

Celle qui versa la strophe ardente et lasse,

Et dont le laurier fleurit et triompha,

                  La pâle Psappha. 

 

« Le rossignol râle et frémit par saccades,

Et l’ombre engloutit la lune et les Pléiades :

                  Au sein de la nuit.

 

« Parmi les parfums glorieux de la terre,

Je rêve d’amour et je dors solitaire,

O vierge au beau front pétri d’ivoire et d’or

                   Que je pleure encor ! « 

 

 

 

 

Locusta 

 

Nul n’a mêlé ses pleurs au souffle de ma bouche,

Nul sanglot n’a troublé l’ivresse de ma couche,

J’épargne à mes amants les rancœurs de l’amour.

J’écarte de leur front la brûlure du jour,

J’éloigne le matin de leurs paupières closes,

Ils ne contemplent pas l’accablement des roses.

Seule je sais donner des nuits sans lendemains.

Je sais les strophes d’or sur le mode,

J’enivre de regards pervers et de musique

La langueur qui sommeille à l’ombre de mes mains.

Je distille les chants, l’énervante caresse

Et les mots d’impudeur murmurés dans la nuit.
J’estompe les rayons, les senteurs et le bruit.

 

Je suis la tendre et la pitoyable Maîtresse.

 

Car je possède l’art des merveilleux poisons,

Insinuants et doux comme les trahisons

Et plus voluptueux que l’éloquent mensonge.

 

Lorsque, au fond de la nuit, un râle se prolonge

Et se mêle à la fuite heureuse d’un accord,

J’effeuille une couronne et souris à la Mort.

 

Je l’ai domptée ainsi qu’une amoureuse esclave,

Elle me suit, passive, impénétrable et grave,

Et je sais la mêler aux effluves des fleurs

 

Et la verser dans l’or des coupes des Bacchantes.

 

J’éteins le souvenir importun du soleil

Dans les yeux alourdis qui craignent le réveil

Sous le regard perfide et cruel des amantes.

J’apporte le sommeil dans le creux de mes mains.
Seule je sais donner des nuits sans lendemains.

 

 

 

 

Lucidité

 

Tendre à qui te lapide et mortelle à qui  t’aime,

Tu fais de l’attitude un règne de poème

O femme dont la grâce enfantine et suprême

Triomphe dans la fange et les pleurs et le sang !

 

Tu n’aimes que la main qui meurtrit ta faiblesse,

La parole qui trompe et le baiser qui blesse,

L’antique préjugé qui ment avec noblesse

Et le désir d’un jour qui sourit en passant.

Férocité passive, hypocritement douce,

Pour t’attirer, il faut que le geste repousse :

Ta chair inerte appelle, en râlant, la secousse.
Tu n’as que le respect du geste triomphant.

 

Esclave du hasard, des choses et de l’heure,

Etre ondoyant en qui rien de vrai ne demeure,

Tu n’accueilles jamais la passion qui pleure

Ni l’amour qui languit sous ton regard d’enfant.

Le baume du banal et le fard du factice,

Créature d’un jour ! contentent ton caprice,

Et ton corps se dérobe entre les mains et glisse…
Jamais tu n’entendis le cri du désespoir.

 

Jamais tu ne compris la gravité d’un songe,

D’un reflet dont le charme expirant se prolonge,

D’un écho dans lequel le souvenir se plonge,

Jamais tu ne pâlis à l’approche du soir.

 

 

 

Lassitude

 

Je dormirai ce soir d’un large et doux sommeil.

Fermez les lourds rideaux, tenez les portes closes,

Surtout ne laissez pas pénétrer le soleil.
Mettez autour de moi le soir trempé de roses.

Posez, sur la blancheur d’un oreiller profond,

Ces mortuaires fleurs dont le parfum obsède.
Posez-les dans mes mains, sur mon cœur, sur mon front,

Ces fleurs pâles, qui sont comme une cire tiède.

 

Et je dirai très bas : « Rien de moi n’est resté.
Mon âme enfin repos. Ayez donc pitié d’elle !

Respectez son repos pendant l’éternité. »

Je dormirai ce soir de la mort la plus belle.

Que s’effeuillent les fleurs, tubéreuses et lys,

Et que se taise, enfin, au seuil des portes closes,

Le persistant écho des sanglots de jadis…

Ah ! le soir infini ! le soir trempé de roses !

 

 

 

 

Devant  la  mort  d’une  amie

véritablement aimée

 

Ils me disent, tandis que je sanglote encore :

« Dans l’ombre du sépulcre où sa grâce pâlit,

Elle goûte la paix passagère du lit,

Les ténèbres au front, et dans les yeux l’aurore .

 

« Mais elle a la splendeur de l’Esprit délivré,

Rêve, haleine, harmonie, éclat, parfum, lumière !

Le cercueil ne la peut contenir tout entière,

Ni le sol de chair morte et de pleurs enivré.

 « Les larmes d’or du cierge et le cri du cantique,

Les lys fanés, ne sont qu’un symbole menteur :

Dans une aube d’avril qui vient avec lenteur,

Elle refleurira, violette mystique. »

 

Moi, j’écoute parmi les temples de la mort

Et sens monter vers moi la chaleur de la terre.
Cette accablante odeur recèle le mystère

De l’ombre où l’on repose et du lit où l’on dort.

 

J’écoute, mais le vent des espaces emporte

L’audacieux espoir des infinis sereins,

Je sais qu’elle n’est plus dans l’heure que j’étreins,

L’heure unique et certaine, et moi, je la crois morte.

 

 

 

 

Les arbres

 

Dans l’azur de l’avril, dans le gris de l’automne,

Les arbres ont un charme inquiet et mouvant.
Le peuplier se ploie et se tord sous le vent,

Pareil aux corps de femme où le désir frissonne.

Sa grâce a des langueurs de chair qui s’abandonne,

Son feuillage murmure et frémit en rêvant,

Et s’incline, amoureux des roses du Levant.
Le tremble porte au front une pâle couronne.

 

 

Vêtu de clair de lune et de reflets d’argent,

S’effile le bouleau dont l’ivoire changeant

Projette des pâleurs aux ombres incertaines.

 

Les tilleuls ont l’odeur des âpres cheveux bruns,
Et des acacias aux verdures lointaines

Tombe divinement la neige des parfums.

 

 

 

I’ve  been  a  ranger

                            J. Keats

 

Tu gardes dans tes yeux la volupté des nuits,

O joie inespérée au fond des solitudes !

Ton baiser est pareil à la saveur des fruits

Et ta voix fait songer aux merveilleux préludes

Murmurés par la mer à la beauté des nuits.

 

Tu portes sur ton front la langueur et l’ivresse,

Les serments éternels et les aveux d’amour ;

Tu sembles évoquer la fragile caresse

Dont l’ardeur se dérobe à la clarté du jour

Et qui te laisse au front la langueur et l’ivresse.

 

 

 

Sonnet  féminin

 

Ta voix a la langueur des lyres lesbiennes,

L’anxiété des chants et des odes saphiques,

Et tu sais le secret d’accablantes musiques

Où pleure le soupir d’unions anciennes.

Les Aèdes fervents et les Musiciennes

T’enseignèrent l’ampleur des strophes érotiques

Et la gravité des lapidaires distiques.

Jadis tu contemplas les nudités païennes.

 

Tu semblent écouter l’écho des harmonies

Mortes ; bleus de ce bleu des clartés infinies,

Tes yeux ont le reflet du ciel de Mytilène.

Les fleurs ont parfumé tes étranges mains creuses ;

De ton corps monte, ainsi qu’une légère haleine,

La blanche volupté des vierges amoureuses.

 

 

 

 

Epitaphe

 

Doucement tu passas du sommeil à la mort,

De la nuit à la tombe et du rêve au silence,

Comme s’évanouit le sanglot d’un accord

Dans l’air d’un soir d’été qui meurt de somnolence,

Au fond du Crépuscule où sombrent les couleurs,

Où le monde pâlit sous les cendres du rêve,

Tu sembles écouter le reflux de la sève

Et l’avril musical qui fait chanter les fleurs.
Le velours de la terre aux caresses muettes

T’enserre, et sur ton front pleurent les violettes.

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :