Courts poèmes de Renée Vivien
CHANSON
Ta voix est un savant poème…
Charme fragile de l’esprit,
Désespoir de l’âme, je t’aime
Comme une douleur qu’on chérit.
Dans ta grâce longue et blêmie,
Tu reviens, du fond de jadis…
Ô ma blanche et lointaine amie,
Je t’adore, comme les lys !
On dit qu’un souvenir s’émousse,
Mais comment oublier jamais
Que ta voix se faisait très douce
Pour me dire que tu m’aimais ?
LA FUSÉE
Vertigineusement, j’allais vers les Étoiles…
Mon orgueil savourait le triomphe des dieux,
Et mon vol déchirait, nuptial et joyeux,
Les ténèbres d’été, comme de légers voiles…
Évocations
Soir
Délivre mon chagrin du sourire éternel,
Exhale ta souffrance en un sincère appel ;
Les choses d’autrefois, si cruelles et folles,
Laissons-les au silence, au lointain, à la mort…
Dans le rêve qui sait consoler l’effort,
Oublions cette fièvre ancienne des paroles.
LA LUNE CONSOLATRICE
Et voici que mon cœur s’épanouit et rit…
Moi qui longtemps souffris, me voici consolée
Par ce noir violet d’une nuit étoilée,
Moi qui ne savais point que la lune guérit !
Moi qui ne savais point que la lune console
De tout le chagrin lourd, de toute la rancœur !
Sa consolation illumine le cœur
D’un rayon éloquent autant qu’une parole.
Et d’un rayon furtif comme un furtif bienfait
Elle se glisse au fond torturé de mon âme,
Elle se glisse avec une douceur de femme.
Et c’est insinuant comme un obscur bienfait.
Comme un obscur bienfait s’insinue, elle glisse…
Tout le ciel émergeant de l’ombre est radieux.
Éternellement chère à mon cœur, à mes yeux,
Sois louée à jamais, Lune consolatrice !
Dans un coin de violettes, E. Sansot et C., 1910 (p 82-83).
VEILLÉE HEUREUSE
J’épie avec amour, ton sommeil dans la nuit :
Ton front a revêtu la majesté de l’ombre,
Tout son enchantement et son prestige sombre…
Et l’heure, comme une eau nocturne, coule et fuit !
Tu dors auprès de moi, comme un enfant… J’écoute
Ton souffle doux et faible et presque musical
S’élevant, s’abaissant, selon un rythme égal…
Ton âme, loin de moi, suit une longue route…
Tes yeux lassés sont clos, ô visage parfait !
Te contemplant ainsi, j’écoute, ô mon amante !
Comme un chant très lointain, ton haleine dormante,
Je l’entends, et mon cœur est doux et satisfait.
Dans un coin de violettes, E. Sansot, 1910.
sse lesbienne, Natalie Clifford Barney, Lucie Delarue Mardrus, Colette, Sappho