"Etudes et Préludes", Renée Vivien, 1901. Partie 2/2
Sonnets
I
L’ombre assourdit le flux et le reflux des choses.
Parmi l’accablement des parfums et des fleurs,
Tes lèvres ont pleuré leurs rythmiques douleurs
Dans un refrain mêlé de sanglots et de pauses.
Et la langueur des lits, la paix des portes closes,
Entourent nos désirs et nos âpres pâleurs…
Dédaignant la lumière et le fard des couleurs,
Nous mêlons aux baisers le soir lassé de roses.
Tes yeux aux bleus aigus d’acier et de cristal
S’entr’ouvrent froidement, ternis comme un métal ;
Le ciel s’est recouvert d’une brume blafarde.
Effleurant ton sommeil opprimé sous le faix
Des ivresses, la lune aux rayons verts s’attarde
Sur la ruine d’or de tes cheveux défaits.
II
Sous un ciel ambigu, l’olivier et l’acanthe
Mêlant subtilement leurs frissons bleus et verts,
Et dans l’ombre fleurit, comme un songe pervers,
L’harmonieux baiser de l’amante à l’amante.
Les cheveux au bun roux d’automne et d’amarante
Et les pâles cheveux plus blonds que les hivers
Confondent leurs reflets. Sur les yeux entr’ouverts
Passe une joie aiguë ainsi qu’une épouvante.
Le crépuscule rose a baigné l’horizon.
Les désirs attardés craignent la trahison
Et le rire sournois de l’aurore importune.
Les doigts ont effeuillé les lotos du sommeil,
Et la virginité farouche de la lune
A préféré la mort au viol du soleil.
Amazone
L’Amazone sourit au-dessus des ruines,
Tandis que le soleil, las des luttes, s’endort.
La volupté du meurtre a gonflé ses narines :
Elle exulte, amoureuse étrange de la mort.
Elle aime les amants qui lui donnent l’ivresse
De leur fauve agonie et de leur fier trépas,
Et, méprisant le miel de la mièvre caresse,
Les coupes sans horreur ne la contentent pas.
Son désir, défaillant sur quelque bouche blême
Dont il sait arracher le baiser sans retour,
Se penche avec ardeur sur le spasme suprême,
Plus terrible et plus beau que le spasme d’amour.
Renee Vivien
Nocturne
J’adore la langueur de tes lèvres charnelles
Où persiste le pli des baisers d’autrefois.
Ta démarche ensorcelle,
Et la perversité calme de ta prunelle
A pris au ciel du nord ses bleus traîtres et froids.
Tes cheveux, répandus ainsi qu’une fumée,
Clairement vaporeux, presque immatériels,
Semblent, ô Bien-Aimée,
Receler les rayons d’une lune embrumée,
D’une lune d’hiver dans le cristal des ciels.
Le soir voluptueux a des moiteurs d’alcôve ;
Les astres sont comme des regards sensuels
Dans l’éther d’un gris mauve,
Et je vois s’allonger, inquiétant et fauve,
Le lumineux reflet de tes ongles cruels.
Sous ta robe, qui glisse en un frôlement d’aile,
Je devine ton corps, -- les lys ardents des seins,
L’or blême de l’aisselle,
Les flancs doux et fleuris, les jambes d’Immortelle,
Le velouté du ventre et la rondeur des reins.
La terre s’alanguit, énervée, et la brise,
Chaude encore des lits lointains, viens assouplir
La mer enfin soumise…
Voici la nuit d’amour depuis longtemps promise…
Dans l’ombre je te vois divinement pâlir.
Sonnet
Tes cheveux irréels, aux reflets clairs et froids,
Ont de pâles lueurs et des matités blondes ;
Tes regards ont l’azur des éthers et des ondes ;
Ta robe a le frisson des brises et des bois.
Je brûle de baisers la blancheur de tes doigts.
L’air nocturne répand la poussière des mondes.
Pourtant je ne sais plus, au sein des nuits profondes,
Te contempler avec l’extase d’autrefois.
La lune d’une lueur oblique…
Ce fut terrible autant qu’un éclair prophétique
Révélant la hideur au fond de ta beauté.
Je vis – comme l’on voit une fleur qui se fane –
Sur ta bouche, pareille aux aurores d’été,
Un sourire flétri de vieille courtisane.
Cri
Tes yeux bleus, à travers leurs paupières mi-closes,
Recèlent la lueur des vagues trahisons.
Le souffle violent et fourbe de ces roses
M’enivre comme un vin où dorment les poisons…
Vers l’heure où follement dansent les lucioles,
L’heure où brille à nos yeux le désir du moment,
Tu me redis en vain les flatteuses paroles…
Je te hais et je t’aime abominablement.
Chanson
Ta chevelure d’un blond rose
A l’opulence du couchant,
Ton silence semble une pause
Adorable au milieu d’un chant.
Et tu passes, ô Bien-Aimée,
Dans le frémissement de l’air…
Mon âme est toute parfumée
Des roses blanches de ta chair.
Lorsque tu lèves les paupières,
Tes yeux pâles, d’un bleu subtil,
Reflètent les larges lumières,
Et les fleurs t’appellent : Avril !
Renee Vivien