Recueil "Etudes et préludes"1/2 de Renée Vivien
ETUDES ET PRELUDES (1901), Renée Vivien Recueil 1
A N…
A la Femme aimée
Lorsque tu vins, à pas réfléchis, dans la brume,
Le ciel mêlait aux ors le cristal et l’airain.
Ton corps se devinait, ondoiement incertain,
Plus souple que la vague et plus frais que l’écume.
Le soir d’été semblait un rêve oriental
De rose et de santal.
Je tremblais. De longs lys religieux et blêmes
Se mouraient dans tes mains, comme des cierges froids.
Leurs parfums expirants s’échappaient de tes doigts
En le souffle pâmé des angoisses suprêmes.
De tes clairs vêtements s’exhalaient tour à tour
L’agonie et l’amour.
Je sentis frissonner sur mes lèvres muettes
La douceur, et l’effroi de ton premier baiser.
Sous tes pas, j’entendis des lyres se briser
En criant vers le ciel l’ennui fier des poètes
Parmi des flots de sons languissamment décrus,
Blonde, tu m’apparus.
Et l’esprit assoiffé d’éternel, d’impossible,
D’infini, je voulus moduler largement
Un hymne de magie et d’émerveillement.
Mais la strophe monta bégayante et pénible,
Reflet naïf, écho puéril, vol heurté,
Vers ta divinité.
Bacchante triste
Le jour ne perce plus de flèches arrogantes
Les bois émerveillés de la beauté des nuits,
Et c’est l’heure troublée où dansent les Bacchantes
Parmi l’accablement des rythmes alanguis.
Leurs cheveux emmêlés pleurent le sang des vignes,
Leurs pieds vifs sont légers comme l’aile des vents,
Et le rose des chairs, la souplesse des lignes,
Ont peuplé la forêt de sourires mouvants.
La plus jeune à des chants qui rappellent le râle :
Sa gorge d’amoureuse est lourde de sanglots.
Elle n’est point pareille aux autres, - elle est pâle ;
Son front à l’amertume et l’orage des flots.
Le vin où le soleil des vendanges persiste
Ne lui ramène plus le généreux oubli ;
Elle est ivre à demi, mais son ivresse est triste,
Et les feuillages noirs ceignent son front pâli.
Tout en elle est lassé des fausses allégresses.
Et le pressentiment des froids et durs matins
Vient corrompre la flamme et le miel des caresses.
Elle songe, parmi les roses des festins.
Celle-là se souvient des baisers qu’on oublie…
Elle n’apprendra pas le désir sans douleurs,
Celle qui voit toujours avec mélancolie
Au fond des soirs d’orgie agoniser les fleurs.
Sonnet
L’orgueil des lourds anneaux, la pompe des parures,
Mêlent l’éclat de l’art à ton charme pervers,
Et les gardénias qui parent les hivers
Se meurent dans tes mains aux caresses impures
Ta bouche délicate aux fines ciselures
Excelle à moduler l’artifice des vers :
Sous les flots de satin savamment entr’ouverts,
Ton sein s’épanouit en de pâles luxures.
Le reflet des saphirs assombrit tes yeux bleus,
Et l’incertain remous de ton corps onduleux
Fait un sillage d’or au milieu des lumières.
Quand tu passes, gardant un sourire ténu,
Blond pastel surchargé de parfums et de pierres,
Je songe à la splendeur de ton corps libre et nu.
Chanson
Ta voix est un savant poème…
Charme fragile de l’esprit,
Désespoir de l’âme, je t’aime
Comme une douleur qu’on chérit.
Dans ta grâce longue est blêmie,
Tu reviens du fond de jadis…
O ma blanche et lointaine amie,
Je t’adore comme les lys !
On dit qu’un souvenir s’émousse,
Mais comment oublier jamais
Que ta voix se faisait très douce
Pour me dire que tu m’aimais ?
***
Le couchant adoucit le sourire du ciel.
La nuit vient gravement, ainsi qu’une prêtresse.
La brise a déroulé, d’un geste de caresse,
Tes cheveux aux blondeurs de maïs et de miel.
Tes lèvres ont gardé le pli de la parole
Dont mon rêve attentif s’est longtemps enchanté.
Une voix de souffrance a longtemps sangloté
Dans l’ombre d’où l’encens des fleurs blanches s’envole.
Ta robe a des frissons de festins somptueux,
Et, sous la majesté de la noble parure,
Fleurit, enveloppé d’haleines de luxure,
Lys profane, ton corps pâle et voluptueux.
Ta prunelle aux bleus frais s’alanguit et se pâme
Je vois, dans tes regards pareils aux tristes cieux,
Dans cette pureté dernière de tes yeux,
La forme endolorie et lasse de ton âme.
Là-bas s’apaise enfin l’essaim d’or des guêpiers…
Parmi les chants vaincus et les splendeurs éteintes,
Tu frôles sans les voir les freles hyacinthes
Qui se meurent d’amour, ayant touché tes pieds.
Sonnet
Parle-moi, de ta voix pareille à l’eau courante,
Lorsque s’est ralenti le souffle des aveux.
Dis-moi des mots railleurs et cruels si tu veux,
Mais berce-moi de la mélopée enivrante.
De ce timbre voilé qui m’attriste et m’enchante,
Lorsque mon front s’égare en tes vagues cheveux,
Exprime tes espoirs, tes regrets et tes vœux,
O mon harmonieuse et musicale amante !
Et moi, j’écouterai ta voix et son doux chant.
Je ne comprendrai plus, j’écouterai, cherchant,
Sinon l’entier oubli, du moins la somnolence.
Car si tu t’arrêtais, ne fût-ce qu’un moment,
J’entendrais… J’entendrais au profond du silence
Quelque chose d’affreux qui pleure horriblement
**
Ta forme est un éclair qui laisse les bras vides,
Ton sourire est l’instant que l’on ne peut saisir…
Tu fuis, lorsque l’appel de mes lèvres avides
T’implore, ô mon Désir !
Plus froide que l’Espoir, ta caresse cruelle
Passe comme un parfum et meurt comme un reflet.
Ah ! l’éternelle faim et la soif éternelle
Et l’éternel regret !
Tu frôles sans étreindre, ainsi que la Chimère
Vers qui tendent toujours les vœux inapaisée…
Rien ne vaut ce tourment ni cette extase amère
De tes rares baisers !
SOIR
La lumière agonise et meurt à tes genoux.
Viens, ô toi dont le front impénétrable et doux
Porte l’accablement des pesantes années :
Douloureuse et les traits mortellement pâlis,
Viens, sans autre parfum dans ta robe à longs plis
Que le souffle des fleurs depuis longtemps fanées.
Viens, sans fard à ta lèvre où brûle mon désir,
Sans anneaux, -- le rubis, l’opale et le saphir
Déshonorent tes doigts laiteux comme la lune, --
Et bannis de tes yeux les reflets du miroir…
Voici l’heure très simple et très chaste du soir
Où la douleur oppresse, où le luxe importune.
Délivre mon chagrin du sourire éternel,
Exhale ta souffrance en un sincère appel ;
Les choses d’autrefois, si cruelles et folles,
Laissons-les au silence, au lointain, à la mort…
Dans le rêve qui sait consoler de l’effort,
Oublions cette fièvre ancienne des paroles.
Je baiserai tes mains et tes divins pieds nus,
Et nos cœurs pleureront de s’être méconnus,
Pleureront les mots vils et les gestes infâmes.
Des vols s’attarderont dans la paix des chemins…
Tu joindras la blancheur mystique de tes mains,
Et je t’adorerai, dans l’ombre où sont les âmes.
Aurore sur la Mer
…quant à mon sanglot : et que les vents orageux l’emportent pour les souffrances !
Psappha
Je te méprise enfin, souffrance passagère !
J’ai relevé mon front. J’ai fini de pleurer.
Mon âme est affranchie, et ton ombre légère
Dans les nuits sans repos ne vient plus l’effleurer.
Aujourd’hui je souris à l’aube qui nous blesse.
O vent des vastes mers, qui, sans parfum de fleurs,
D’une âcre odeur de sel ranimes ma faiblesse,
O vent du large ! emporte à jamais les douleurs !
Emporte les douleurs au loin, d’un grand coup d’aile,
Afin que le bonheur éclate, triomphal,
Dans nos cœurs où l’orgueil divin se renouvelle,
Tournées vers le soleil, les chants et l’idéal !
Chanson
Le vol de la chauve-souris,
Tortueux, angoissé, bizarre,
Aux battements d’ailes meurtries,
Revient et s’éloigne et s’égare.
N’as-tu pas senti qu’un moment,
Ivre de ses souffrances vaines,
Mon âme allait éperdument
Vers tes chères lèvres lointaines ?
Ondine
Ton rire est clair, ta caresse est profonde,
Tes froids baisers aiment le mal qu’ils font ;
Tes yeux sont bleus comme un lotus sur l’onde,
Et les lys sont moins purs que ton front.
Ta forme fuit, ta démarche est fluide,
Et tes cheveux sont de légers réseaux ;
Ta voix ruisselle ainsi qu’un flot perfide ;
Tes souples bras sont pareils aux roseaux,
Aux longs roseaux des fleuves, dont l’étreinte
Enlace, étouffe, étrangle savamment,
Au fond des flots, une agonie éteinte
Dans un nocturne évanouissement.
A l’Amie
Dans tes yeux les clartés trop brutales s’émoussent.
Ton front lisse, pareil à l’éclatant vélin
Que l’écarlate et l’or de l’image éclaboussent,
Brûle de reflets roux ton regard opalin.
Ton visage a pour moi le charme des fleurs mortes,
Et le souffle appauvri des lys que tu m’apportes
Monte vers les langueurs du soleil au déclin.
Fuyons, Sérénité de mes heures meurtries,
Au fond su crépuscule infructueux et las.
Dans l’enveloppement des vapeurs attendries,
Dans le soir fraternel, je te dirai très bas
Ce que fut la beauté de la Maîtresse unique…
Ah ! cet âpre parfum, cette amère musique
Des bonheurs accablés qui ne reviendront pas !
Ainsi nous troublerons longtemps la paix des cendres.
Je te dirai des mots de passion, et toi,
Le rêve ailleurs et les yeux lointainement tendres,
Tu suivras ton passé de souffrance et d’effroi.
Ta voix aura le chant des lentes litanies
Où sanglote l’écho des plaintes infinies,
Et ton âme, l’essor douloureux de la Foi.
Chanson
De ta robe à longs plis flottants
Ruissellent toutes les chimères,
Et tu m’apportes le printemps
Dans tes mains blondes et légères.
J’ai peur de ce frisson nacré
De tes frêles seins, je ne touche
Qu’en tremblant à ton corps sacré,
J’ai peur du charme de ta bouche.
Je me sens grandir jusqu’aux Dieux
Quand, sous mon orgueilleuse étreinte,
Le doux bleu meurtri de tes yeux
S’évanouit, fraîcheur éteinte.
Mais quand, si blanche entre mes bras,
A mon cri d’amour qui se pâme
Tu souris et ne réponds pas,
Tes yeux fermés me glacent l’âme…
J’ai peur – c’est le remords spectral
Que l’extase ne saurait taire –
De t’avoir peut-être fait mal
D’une caresse involontaire.
L’éternelle Vengeance
DALILA, courtisane au front mystérieux,
Aux mains de sortilège et de ruse, aux longs yeux
Où luttaient le soleil, l’orage et la nuée,
Rêvait :
« Je suis l’esclave et la prostituée,
La fleur que l’on effeuille au festin du désir,
La musique d’une heure et le chant d’un loisir,
Ce qui charme, ce qu’on enlace et qu’on oublie.
Mon corps sans volupté se pâme et ploie et plie
Au singe impérieux des passagers amants.
Parmi ces inconnus qui, repus et dormants,
Après la laide nuit dont l’ombre pleure encore,
De leur souffle lascif souillent l’air et l’aurore,
C’est toi le plus haï, Samson, fils d’Israël !
Mon sourire passif répond à ton appel,
Mon corps, divin éclair et baiser sans empreinte,
A rempli de parfums ta détestable étreinte :
Mais, malgré les aveux et les sanglots surpris,
Ne crois pas que ma haine ait moins d’âpres mépris,
Car, dans le lit léger des feintes allégresses,
Dans l’ombre moiteur des cruelles caresses,
J’ai préparé le piège où tu succomberas,
Moi, le contentement bestial de tes bras ! «
Elle le supplia sur la couche d’ivoire :
« Astre sanglant, dis-moi le secret de ta gloire. »
Mais l’amant de ses nuits sans amour lui mentit.
Et la soif des vaincus la brûla sans répit.
Elle fut le regard et l’ouïe et l’attente,
La chaude obsession qui ravit et tourmente,
Et, patient péril aux froids destins pareil,
Sa vengeance épia le souffle du sommeil.
Un soir que la Beauté brillait plus claire en elle,
Par l’enveloppement de l’humide prunelle,
Par le geste des bras défaillant et livré,
Torturé tendrement, -- savamment enivré
De souples seins, de flancs fiévreux, de lèvres lasses,
De murmures mourants et de musiques basses,
Sous les yeux de la femme, implacablement doux,
Dans l’ombre et dans l’odeur de ses ardents genoux,
Sans souvenir, cédant à l’éternelle amorce,
L’homme lui soupira le secret de sa force.
Sonnet à la mort
J’attends, ô Bien-Aimée ! ô vierge dont le front
Illumine le soir de pompe et d’allégresse,
Ton hymen aux blancheurs d’éternelle tendresse,
Car ton baiser d’amour est subtil et profond.
Notre lit sera plein de fleurs qui frémiront,
Et l’orgue clamera la nuptiale ivresse
Et le sanglot aigu pareil à la détresse,
Dans l’ombre où tu pâlis comme un lys infécond.
Et la paix des autels se remplira de flammes ;
Les larmes, les parfums et les épithalames,
La prière et l’encens monteront jusqu’à nous.
Malgré le jour levé, nous dormirons encore
Du sommeil léthargique où gisent les époux,
Et notre longue nuit ne craindra plus l’aurore.
Nudité
L’ombre jetait vers toi des effluves d’angoisse :
Le silence devint amoureux et troublant.
J’entendis un soupir de pétales qu’on froisse,
Puis, lys entre les lys, m’apparut ton corps blanc.
J’eus soudain le mépris de ma lèvre grossière…
Mon âme fit ce rêve attendri de poser
Sur ta grâce où longtemps s’attardait la lumière
Le souffle frissonnant d’un mystique baiser.
Dédaignant l’univers que le désir enchaîne,
Tu gardas froidement ton sourire immortel,
Car la Beauté demeure étrange et surhumaine
Et veut l’éloignement splendide des autels.
Eparse autour de toi pleurait la tubéreuse,
Tes seins se dressaient fiers de leur virginité…
Dans mes regards brûlait l’extase douloureuse
Qui nous étreint au seuil de la divinité.
Aube incertaine
Comme les courtisans près d’un nouveau destin,
Nous attendions l’éveil propice de l’aurore.
Les songes attardés se poursuivaient encore,
Et tes yeux étaient bleus, -- bleus comme le matin.
Tandis que je songeais à la douceur passée,
Tes cheveux répandaient une odeur de sommeil.
Dans la crainte de voir éclater le soleil,
Notre nuit s’éloignait, souriante et lassée.
Tel qu’un léger linceul de spectre, le brouillard
Matinal s’allongeait avant de disparaître,
Et le monde était plein d’un immense peut-être.
L’aube était incertaine ainsi que ton regard.
Tu semblais deviner mes extases troublées.
Dans l’ombre je croyais te voir enfin pâlir,
Et j’espérais qu’enfin jaillirait le soupir
De nos cœurs confondus, de nos âmes mêlées.
Nos êtres frémissaient de tressaillements sourds.
Nous espérions avoir atteint l’amour lui-même,
Sa très terrible ardeur et son éclair suprême…
Et le jour s’est levé, comme les autres jours !
Chanson
Comment oublier le pli lourd
De tes belles hanches sereines,
L’ivoire de ta chair où court
Un frémissement bleu de veines ?
N’as-tu pas senti qu’un moment,
Ivre de ses angoisses vaines,
Mon âme allait éperdument
Vers tes chères lèvres lointaines ?
Et comment jamais retrouver
L’identique extase farouche,
T’oublier, revivre et rêver
Comme j’ai rêvé sur ta bouche ?
Lucidité
L’art délicat du vice occupe tes loisirs,
Et tu sais réveiller la chaleur des désirs
Auxquels ton corps perfide et souple se dérobe.
L’odeur du lit se mêle aux parfums de ta robe.
Ton charme blond ressemble à la fadeur du miel.
Tu n’aimes que le faux et l’artificiel,
La musique des mots et des murmures mièvres.
Ton baiser se détourne et glisse sur les lèvres.
Tes yeux sont des hivers pâlement étoilés.
Les deuils suivent tes pas en mornes défilés.
Ton geste est un reflet, ta parole est une ombre.
Ton corps s’est amolli sous des baisers sans nombre,
Et ton âme est flétrie et ton corps est usé.
Languissant et lascif, ton frôlement rusé
Ignore la beauté loyale de l’étreinte.
Tu mens comme l’on aime, et, sous ta douceur feinte,
On sent le rampement du reptile attentif.
Au fond de l’ombre, telle une mer sans récif,
Les tombeaux sont encor moins impurs que ta couche…
O Femme ! je le sais, mais j’ai soif de ta bouche !
L’odeur des vignes
L’odeur des vignes monte en un souffle d’ivresse :
La pesante douceur des vendanges oppresse
La paix, la longue paix des automnes sereins.
Voici le champ, meurtri par les longues cultures,
L’enclos tiède, où le fruit livre ses grappes mûres,
Comme une femme offrant l’ambre de ses deux seins.
Un spectre de Bacchante erre parmi les treilles.
Sa rouge chevelure et ses lèvres vermeilles,
Ses paupières de pourpre aux replis somptueux,
Brûlent du flamboiement des anciennes luxures,
Et, dévoilant sa chair aux sanglantes morsures,
Elle chante à grands cris le vin voluptueux.
Les baisers sans amour sur les lèvres stupides,
Les regards vacillants dans le fond des yeux vides
Sortiront, enfiévrés, de l’effort du pressoir.
L’air se peuple déjà de visions profanes,
De festins où fleurit le front des courtisanes…
Les effluves du vin futur troublent le soir…
L’odeur des vignes monte en un souffle d’ivresse :
La pesante douceur des vendanges oppresse
La paix, la longue paix des automnes sereins.
Voici le champ, meurtri par les longues cultures,
L’enclos tiède, où le fruit livre ses grappes mûres,
Comme une femme offrant l’ambre de ses deux seins.
* * *
« Her gentle feet tread down the weeds
And give more place to flowers. “
Elle écarte en passant les ronces du chemin.
Au geste langoureux et frôleur de main
Eclosent blanchement les frêles églantines…
Mais sa chair s’est blessée à tant d’âpres épines !
J’ai vu saigner ses pieds aux buissons du chemin.
Son lent sourire tombe au sein d’or des corolles.
L’évanouissement de ses vagues paroles
Remplit de bleus échos les jardins d’aconit
Sous les rayons cruels de la lune au zénith.
Son lent sourire tombe au sein d’or des corolles.
Dans l’ombre de ses pas pleurent les liserons…
Le jasmin, diadème aux délicats fleurons,
Cet astre atténué, la chaste primevère,
Parent son front de vierge à la beauté sévère…
Là-bas pleurent d’amour les simples liserons.
Son être, où brûle encor l’ardeur des soifs divines,
S’est blessé trop souvent aux sauvages épines, --
J’ai vu saigner son cœur aux buissons du chemin.
Elle va gravement vers le lourd lendemain,
Inlassable et gardant l’ardeur des soifs divines…
J’ai vu saigner son cœur aux buissons du chemin.
Sourire dans la Mort
…Car il n’est pas juste que la lamentation
soit dans la maison des serviteurs des Muses :
cela est indigne de nous.
Psappha
Le charme maladif des musiques moroses
Ici ne convient point à l’auguste trépas.
Venez, il faut couvrir de rythmes et de roses
La maison de l’Aède, où le deuil n’entre pas !
Que, parmi le reflux des clartés, se déploie
La pompe des parfums, des chants et des couleurs :
Avec des cris d’orgueil, d’espérance et de joie,
Jetez à pleines mains les fleurs, les fleurs, les fleurs !
Sonnet
O forme que les mains ne sauraient retenir !
Comme au ciel l’élusif arc-en-ciel s’évapore,
Ton sourire, en fuyant, laisse plus vide encore
Le cœur endolori d’un trop doux souvenir.
Ton caprice lassé, comment le rajeunir,
Afin qu’il refleurisse aux fraîcheurs d’une aurore ?
Quels mots te murmurer, et quels lys faire éclore
Pour enchanter l’ennui de l’heure et du loisir ?
De quels baisers charmer la langueur de ton âme,
Afin qu’exaspéré d’extase, pleure et pâme
Ton être suppliant, avide et contenté ?
De quels rythmes d’amour, de quel fervent poème
Honorer dignement Celle dont la beauté
Porte au front le Désir ainsi qu’un diadème ?
Chanson
Le soir verse les demi-teintes
Et favorise les hymens
Des véroniques, des hyacinthes,
Des iris et des cyclamens.
Charmant mes gravités meurtries
De tes baisers légers et froids,
Tu mêles à mes rêveries
L’effleurement blanc de tes doigts.
Chanson
J’ai l’âme lasse du destin
Et je ne veux plus voir le monde
Qu’à travers le voile divin
De tes pâles cheveux de blonde.
Sur mon front, haï des sommeils
Et que le délire importune,
Répands tes doux cheveux, pareils
A des rayons de clair de lune.
Puisque le passé pleure seul
Parmi les félicités brèves,
Fais de tes cheveux un linceul
Afin d’ensevelir mes rêves.
Les yeux gris
Le charme de tes yeux sans couleur ni lumière
Me prend étrangement ; il se fait triste et tard,
Et, perdu sous le pli de ta pâle paupière,
Dans l’ombre de tes cils sommeille un regard.
J’interroge longtemps tes stagnantes prunelles.
Elles ont le néant du soir et de l’hiver
Et des tombeaux : j’y vois les limbes éternelles,
L’infini lamentable et terne de la mer.
Rien ne survit en toi, pas même un rêve tendre.
Tout s’éteint dans tes yeux sans âme et sans reflet,
Comme dans un foyer de silence et de cendre…
Et l’heure est monotone ainsi qu’un chapelet.
Parmi l’accablement du morne paysage,
Un froid mépris me prend des vivants et des forts…
J’ai trouvé dans tes yeux la paix sinistre et sage
Et la mort qu’on respire à rêver près des morts.
Naïade moderne
Les remous de la mer miroitaient dans ta robe.
Ton corps semblait le flot traître qui se dérobe.
Tu m’attirais vers toi comme l’abîme et l’eau ;
Tes souples mains avaient le charme du réseau,
Et tes vagues cheveux flottaient sur ta poitrine,
Fluides et subtils comme l’algue marine.
Cet attrait décevant qui pare le danger
Rendait encor plus doux ton sourire léger ;
Ton front me rappelait les profondeurs sereines,
Et tes yeux me chantaient la chanson des sirènes.
Sonnet
Ecoutez… Celles-là sont les Musiciennes.
Leur présence est pareille à l’écho d’une voix,
Et leur souffle est dans l’air plein de légers émois,
Pleins de très lents accords aux langueurs lesbiennes.
Et les voici passer, formes aériennes,
Se mêlant au silence harmonieux des bois,
Et redisant en chœur leurs amours d‘autrefois,
Aux sons luxurieux de leurs lyres anciennes.
Ces chœurs, se lamentant, pleurent au fond des nuits
Et mêlent des essors, des frissons et des bruits
Aux forêts de silence et d’ombre recouvertes.
Comme pour exhaler le chant ou le soupir
On les sent hésiter, les lèvres entr’ouvertes,
Et le poète seul les entend revenir.
Morts inquiets
L’éclat de la fanfare et l’orgueil des cymbales,
Réveillant les échos, se prolongent là-bas,
Et, sous l’herbe sans fleurs des fosses martiales,
Les guerriers assoupis rêvent d’anciens combats.
Ils ne s’enivrent point des moiteurs de la terre
Tiède de baisers las et de souffles enfuis…
Seuls, ils ne goûtent point l’enveloppant mystère,
La paix et le parfum des immuables nuits.
Car leur sépulcre est plein de cris et de fumée
Et, devant leurs yeux clos en de pâles torpeurs,
Passe la vision de la plaine embrumée
D’haleines, de poussière et de rouges vapeurs.
Ils attendent, tout prêts à se lever encore,
Les premières lueurs, le clairon du réveil,
Le lourd piétinement des chevaux à l’aurore,
Les chansons du départ… et la marche au soleil !
Que le ciel triomphal du couchant leur rappelle
Les vieux champs de bataille et de gloire, en versant
L’écarlate sinistre et la pourpre cruelle
De ses reflets, pareils aux larges flots de sang !
Que le vent, aux clameurs de victoire et de rage,
Le vent qui dispersait la cendre des foyers,
Mêle à leur tombe ardente, avec un bruit d’orage,
Le superbe frisson des drapeaux déployés !
Sommeil
Ton sommeil m’épouvante, il est froid et profond
Ainsi que le sommeil aux langueurs éternelles.
J’ai peur de tes yeux clos, du calme de ton front.
Je guette – et le silence inquiet me confond –
Un mouvement des cils sur la nuit des prunelles.
Je ne sais, présageant les mortelles douleurs,
Si, dans la nuit lointaine où l’aurore succombe,
Ton souffle n’a pas fui comme un souffle de fleurs,
Sans effort d’agonie et sans râle et sans pleurs,
Et si ton lit d’amour n’est pas déjà la tombe.
Renee Vivien