"Flambeaux éteints" de Renée Vivien

Publié le par Cristie Cyane

"Flambeaux éteints" de Renée Vivien

FLAMBEAUX  ETEINTS                    1907                          

                                              Recueil 8


                                                
                                                                         A  mon  amie  H.L.C.B.


Flambeaux  éteints

 

L’aurore a traversé la salle du festin
Traînant ses voiles gris parmi les roses mortes.

 

 


Elle s’avance, elle entre, elle franchit les portes
A pas lourds, à pas lents, tel un spectre humain.

 

 

Un rayon est tombé sur les torches éteintes.
On voit enfin ces lys qui parurent si beaux
A la lueur fugace et fausse des flambeaux,
Et ces roses, et ces très tristes hyacinthes.

 

Voici la place où ton corps chaud s’est détendu,
Le coussin frais où s’est roulé ta chaude tête,
Le luth, qui souligna l’éloquence requête,
Le ciel peint, reflété dans ton regard perdu.



 

Tes ongles ont meurtri ma chair, parmi les soies,
Et j’en porte la trace orgueilleuse… Tes fards
S’envolent en poussière, et sur les lits épars
Tes voiles oubliés nous évoquent les joies.



 

Implacables, ainsi que d’ingénus témoins,
Les choses sont dans leur netteté qui m’accuse,
Le rappel froid et clair de cette nuit confuse.


Des parfums oubliés persistent dans les coins.

 


                             ***


Je m’éveille, au milieu d’une forêt de torches
Eteintes froidement dans la froideur du jour,
Songeant à ma jeunesse, à son tremblant amour,
Aux jasmins qui faisaient plus radieux les porches.

 



Tel un supplice antique et savant, inventé
Par un despote aux yeux creusés par le délire,
L’horreur de n’être plus ce qu’on fut me déchire,
Et le soir envahit  mon palais enchanté.

 

Je sens mourir l’odeur des jeunes hyacinthes.
La fièvre me secoue en des frissons ardents,
Tout s’éteint et tout meurt… Et je claque des dents
Parmi les lys fanés et les torches éteintes.

 

 

Voici  ce  que  je  chanterai

 

L’adorable repos, les brèves accalmies,
Vous seules me les donnâtes, ô mes amies !

 

Voyant paraître enfin la lune à l’arc d’argent,
Je me repose et me désennuie, en songeant…

 

Vous fûtes la douceur de mes heures mauvaises,
Le baume oriental qui trompe les malaises,

 

Et vous m’avez conduite en un verger païen
Où l’âme ne regrette et ne désire rien.

 

Vos fûtes le parfum du soir sur mon visage,
Et la volupté triste, et la tristesse sage.

 

Au hasard du Destin, vous fûtes tour à tour
La sereine tendresse et le mauvais amour.

 

Je vous prends et je vous respire, mes aimées,
Ainsi qu’une guirlande aux fraîcheurs embaumées.



 

Vus avez su tourner vers vous tous mes désirs,
Et vous avez rempli mes mains de souvenirs ;



 

Je vous le dis, à vous qui m’avez couronnée :
« Qu’importent les demains ? Cette nuit m’est donnée !

« Qu’importe désormais ce qui passe et qui fuit ?


Nul vent n’emportera l’odeur de cette nuit. »

 

Vous avez dénoué mes cheveux, ô maîtresses
Qui mêliez en riant des roses à mes tresses !

 

Si bien que je n’ai plus sangloté de ne voir
A mon front ni léger pampre ni laurier noir.



La gloire m’a souri dans les aubes dorées
Puisque ma gloire est de vous avoir adorées.

 

Vous m’avez enseigné dans les jardins, sachant
Qu’ainsi je vous louerais, l’amertume du chant.



 

Et d’une voix parfois troublée et parfois claire,
O femmes ! j’ai chanté dans l’espoir de vous  plaire.

 

Les  Roses  sont  entrées

Ma brune aux yeux dorés, ton corps d’ivoire et d’ambre
A laissé des reflets lumineux dans la chambre
    Au-dessus du jardin.

Le ciel clair de minuit, sous mes paupières closes,
Rayonne encor… Je suis ivre de tant de roses
    Plus rouges que le vin.

Délaissant leur jardin, les roses m’ont suivie…
Je bois leur souffle bref, je respire leur vie.
    Toutes, elles sont là.

C’est le miracle… Les étoiles sont entrées,
Hâtives, à travers les vitres éventrées
    Dont l’or fondu coula.

Maintenant, parmi les roses et les étoiles,
Te voici dans ma chambre, abandonnant tes voiles,
    Et ta nudité luit.

Sur mes yeux s’est posé ton regard indicible…


Sans astres et sans fleurs, je rêve l’impossible
    Dans le froid de la nuit.

 


Paroles  soupirées


Quelle tristesse après le plaisir, mon amie,
Quand le dernier baiser, plus triste qu’un sanglot,
S’échappe en frémissant de ta bouche blêmie
Et que, mélancolique et lente, sans un mot,
Tu t’éloignes à pas songeurs, ô mon amie !

 

Pareille à la douleur des adieux, dans le soir,
L’angoisse qui nous vient de la volupté lasse !
Pareille au vers qui ne sait plus nous émouvoir,
Pareille au noir cortège impérial, qui passe
Dans le funèbre éclat des cierges, vers le soir…

 



Et je te sens déçue et je me sens lointaine…


Nous demeurons avec les yeux de l’exilé,
Suivant, tandis qu’un fil d’or frêle nous enchaîne,
Du même regard las notre rêve envolé…


Autre déjà, tu me souris, déjà lointaine…

 

 

Sois  Femme…


Très chère, sois plus femme encore, si tu veux
Me plaire davantage et sois faible et sois tendre,
Mêle avec art les fleurs qui parent tes cheveux,
Et sache t’incliner au balcon pour attendre.



 

Ce qu’il est de plus grave en un monde futile,
C’est d’être belle et c’est de plaire aux yeux surpris,
D’être la cime pure, et l’oasis, et l’île,
Et la vague musique au langage incompris.

 

Qu’un changeant univers se transforme en ta face,
Que ta robe s’allie à la couleur du jour,
Et choisis tes parfums avec un art sagace,
Puisqu’un léger parfum sait attirer l’amour.

 

Immobile au milieu des jours, sois attentive
Comme si tu suivais les méandres d’un chant,
Allonge ta paresses à l’ombre d’une rive,
Etre sous les cyprès à l’ombre du couchant.



 

Sois lointaine, sois la Présence des ruines
Dans les palais détruits où frissonne l’hiver,
Dans les temples croulants aux ombres sibyllines,
Et souffre de la mort du soleil et de la mort.



 

Comme une dont on hait la race et qu’on exile,
Sois faible et parle bas, et marche avec lenteur.


 

Expire chaque soir avec le jour fébrile,
Agonise d’un bruit et meurs d’une senteur.

 

Etant ainsi ce que mon rêve t’aurait faite,
Reçois de mon amour un hommage fervent,
O toi qui sais combien le ciel est décevant
Aux curiosités fébriles du poète !

 

Et je retrouverai dans ton unique voix,
Dans le rayonnement de ton visage unique,
Toute l’ancienne pompe et l’ancienne musique
Et le tragique amour des reines d’autrefois.

 

Tes beaux cheveux seront mon royal diadème,
Mes sirènes d’hier chanteront dans ta voix.
Tu seras tout ce que j’adorais autrefois,
Toi seule incarneras l’amour divers que j’aime.

 

 


La  Lune  s’est  noyée

Seule, je sais la mort de Madonna la Lune,
De la Lune aux cheveux si blonds et si légers,
Aux yeux furtifs et dont les voiles ouvragés
Glissaient avec un si doux frisson dans la brume…



 

Hier soir, quand j’errais au  loin, je l’aperçus.
Je l’aperçus penchée et pleurant, sous l’yeuse,
Ainsi qu’une fantasque et plaintive amoureuse
Se lamentant des chers baisers trop tôt déçus.

 

Comme pour un festin, elle s’était parée,
Elle s’était parée avec ses colliers d’or.
Un hibou, s’élevant dans un craintif essor,
La frôla doucement de son aile égarée.

 

La Lune s’inclina. Telle aux soirs de jadis,
Aux longs soirs de jadis tremblants sur l’eau dormante
Elle mirait son front capricieux d’amante…
Et soudain j’entendis un froissement d’iris.

 

J’écartai les roseaux frémissants et tenaces,
Tenaces à l’égal de frêles bras liés.
La Lune reposait, avec ses beaux colliers.
Au loin se répandait un thrène de voix basses.

 

La Lune diffusait une faible splendeur,
Une splendeur mourante, au fond des herbes glauques.


Et voici que, soudain, ayant tu ses chants rauques,
Un crapaud se posa froidement sur son cœur.

 

Je vais pleurant la mort de la Lune, ma Dame,
De ma Dame qui gît au fond des nénuphars.


Il n’est plus de clarté dans ses cheveux épars,
Et ses yeux ont perdu l’azur vert de leur flamme.

 

Quel lit recueillera mon frileux désespoir,
Mon désespoir d’amant fidèle et de poète ?
O vous tous que le bruit de mes pleurs inquiète,
La Lune s’est noyée au fond de l’étang noir !
Elle  demeure  en  son  palais

 


Elle demeure en son palais, près du Bosphore,
Où la lune s’étend comme en un lit nacré…
Sa bouche est interdite et son corps est sacré,
Et nul être, sauf moi, n’osa l’étreindre encore.

 

Des nègres cauteleux la servent à genoux…
Humbles, ils ont pourtant des regards de menace
Fugitifs à l’égal d’un éclair roux qui passe…
Leur sourire est très blanc et leurs gestes sont doux…

 

Ils sont ainsi mauvais parce qu’ils sont eunuques
Et que celles que j’aime a des yeux sans pareils,
Pleins d’abîmes, de mers, de déserts, de soleil,
Qui font vibrer d’amour les moelles et les nuques.

 

Leur colère est le cri haineux de la douleur…
Et moi, je les excuse en la sentant si belle,
Si loin d’eux à jamais, si près de moi… Pour elle,
Elle les voit souffrir en mordant une fleur.



 

J’entre dans le palais baigné par l’eau charmante,
Où l’ombre est calme, où le silence est infini,
Où, sur les tapis frais plus qu’un herbage uni,
Glissent avec lenteur les pas de mon amante.



Ma sultane aux yeux noirs m’attends, comme autrefois.


Des jasmins enlaceurs voilent les jalousies…
J’admire, en l’admirant, ses parures choisies,
Et mon âme s’accroche aux bagues de ses doigts.

 

Nos caresses ont de cruels enthousiasmes
Et des effrois et des rires de désespoir…
Plus tard une douceur tombe, semblable au soir,
Et ce sont des baisers de sœur, après les spasmes.



 

Elle redresse un pli de sa robe, en riant…


 

Et j’évoque son corps mûri par la lumière 
Auprès du mien, dans quelque inégal cimetière,
Sous l’ombre sans terreur des cyprès d’orient.
 


Elle  demeure  en  son  palais

 

Elle demeure en son palais, près du Bosphore,
Où la lune s’étend comme en un lit nacré…
Sa bouche est interdite et son corps est sacré,
Et nul être, sauf moi, n’osa l’étreindre encore.

 

Des nègres cauteleux la servent à genoux…
Humbles, ils ont pourtant des regards de menace
Fugitifs à l’égal d’un éclair roux qui passe…
Leur sourire est très blanc et leurs gestes sont doux…

 

Ils sont ainsi mauvais parce qu’ils sont eunuques
Et que celles que j’aime a des yeux sans pareils,
Pleins d’abîmes, de mers, de déserts, de soleil,
Qui font vibrer d’amour les moelles et les nuques.

Leur colère est le cri haineux de la douleur…
Et moi, je les excuse en la sentant si belle,
Si loin d’eux à jamais, si près de moi… Pour elle,
Elle les voit souffrir en mordant une fleur.



 

J’entre dans le palais baigné par l’eau charmante,
Où l’ombre est calme, où le silence est infini,
Où, sur les tapis frais plus qu’un herbage uni,
Glissent avec lenteur les pas de mon amante.



 

Ma sultane aux yeux noirs m’attends, comme autrefois.


 

Des jasmins enlaceurs voilent les jalousies…
J’admire, en l’admirant, ses parures choisies,
Et mon âme s’accroche aux bagues de ses doigts.

 

Nos caresses ont de cruels enthousiasmes
Et des effrois et des rires de désespoir…
Plus tard une douceur tombe, semblable au soir,
Et ce sont des baisers de sœur, après les spasmes.



Elle redresse un pli de sa robe, en riant…


Et j’évoque son corps mûri par la lumière 
Auprès du mien, dans quelque inégal cimetière,
Sous l’ombre sans terreur des cyprès d’orient.

 


La  Flûte  qui  s’est  tue

Je m’écoute, avec des frissons ardents,
Moi, le petit faune au regard farouche.


 

L’âme des forêts vit entre mes dents
Et le dieu du rythme habite ma bouche.

 

Dans ce bois, loin des aegipans rôdeurs,
Mon cœur est plus doux qu’une rose ouverte ;
Les rayons, chargés d’heureuses odeurs,
Dansent au son frais de la flûte verte.

 

Mêlez vos cheveux et joignez vos bras
Tandis qu’à vos pieds le bélier s’ébroue,
Nymphes des halliers ! Ne m’approchez pas !
Allez rire ailleurs pendant que je joue !

 

Car j’ai la pudeur de mon art sacré,
Et, pour honorer la Muse hautaine,
Je chercherai l’ombre et je cacherai 
Mes pipeaux vibrants dans le creux d’un chêne.

 

Je jouerai, parmi l’ombre et les parfums,
Tout le long du jour, en attendant l’heure
Des chœurs turbulents et des jeux communs
Et des seins offerts que la brise effleure…

 

Mais je tais mon chant pieux et loyal
Lorsque le festin d’exalte et flamboie.


 

Seul le vent du soir apprendra mon mal,
Et les arbres seuls connaîtront ma joie.

 

Je défends ainsi mes instants meilleurs.


Vous qui m’épiez de vos yeux de chèvres,
O mes compagnons ! allez rire ailleurs
Pendant que le chant fleurit sur mes lèvres !

 

Sinon, je suis faune après tout, si beau
Que soit mon hymne, et bouc qui se rebiffe,
Je me vengerai d’un coup de sabot
Et d’un coup de corne et d’un coup de griffe !

 

Caravanes

C’est le soir. On entend passer les caravanes.


Rythmiques, les chameaux allongent leurs pas lourds.


La clochette à leur cou jette des refrains sourds.


Smyrne dort, du sommeil repu des courtisanes.



 

Dans un jardin créé par les mains de la nuit
De fabuleux jasmins déroulent leurs lianes,
Et mes rêves s’en vont, comme des caravanes,
Vers l’inconnu charmant où l’amour les conduit.

 

Mes rêves, défilant en lentes caravanes,
Mes grands rêves chargés du poids de tant d’espoirs,
S’en vont, au bruit lointain des cloches, dans les soirs,
Vers la maîtresse brune aux voiles diaphanes.

 

Orientalement immuable, elle attend
Sans rêve et sans désir, comme font les sultanes,
Et peut-être, entendant passer mes caravanes,
Ses yeux les suivront-ils dans leur marche, un instant.

 

Des palmiers surchargés de dattes, de bananes,
M’attendent en l’espace aux rares tamaris.


 

J’y connaîtrai l’espoir déçu de l’oasis
Que cherche vainement la soif des caravanes.

 



Mais je sais que là-bas, loin des ferveurs profanes,
Beauté captive aux longs loisirs pleins de regret,
Ma Sultane repose en ce palais sacré
Où mes rêves s’en vont, comme des caravanes.

 


Les  Etres  de  la  Nuit

 

Les êtres de la nuit et les êtres du jour
Ont longtemps partagé mon âme, tour à tour.

 


Les êtres de la nuit m’ont fait craindre le jour.

Car les êtres du jour sont triomphants et libres,
Nulle secrète horreur ne fait vibrer leurs fibres,
Ils ont le regard clair de ceux qui naissent libres.

 



Les êtres de la nuit sont lents, passifs et doux,
Leur âme est comme un fleuve obscur et sans remous,
Leurs gestes sont furtifs et leurs rires sont doux.



Mais les êtres du jour ont des prunelles claires,
De ce bleu que voient seuls les aigles dans leurs aires.


Le jour fait resplendir ces prunelles trop claires.

 

Ce sont les yeux aigus des héros et des rois
Du Nord qu’on entend rire au fond des palais froids,
Et des reines dont l’âme a dominé les rois.



 

Les êtres de la nuit sont craintifs, mais dans l’ombre
Un phosphore inconnu luit en leur regard sombre :
Les êtres de la nuit ne vivent que par l’ombre.

 

Les êtres de la nuit sont faibles et charmants :
Ils trompent, et ce sont les fugitifs amants,
Les amantes aux cœurs perfides et charmants.



Ils détournent, dans le baiser, leur froide bouche,
Et leur pas se dérobe ainsi qu’un vol farouche.

 


On ne boit qu’un baiser décevant sur leur bouche.

 

Il faut craindre l’attrait des êtres de la nuit,
Car leur corps souple glisse entre les bras et fuit,
Et leur amour n’est qu’un mensonge de la nuit.

 


Fête  d’Automne


L’espoir de vivre ailleurs des jours clairs m’abandonne
Et je célèbre ici la fête de l’automne.

Au-dessus de ma porte, avec un regret doux
Et chantant, je suspends les guirlandes d’or roux

 

Qu’une femme au regard que nulle mort n’étonne
Vint tresser, en pleurant sur la mort de l’automne…



Ma maîtresse d’hier, nous ne fûmes jamais
Un couple harmonieux… Autrefois, je t’aimais..



 

Je goûte en ce baiser que ta bouche me donne
L’odeur de l’herbe humide et des feuilles d’automne,

L’odeur lourde des lourds raisins, et cette odeur
De pavots morts que jette au loin le vent rôdeur…

 

Seule dans mon jardin fané je me couronne
De feuillages et de violettes d’automne…

 

"Flambeaux éteints" de Renée Vivien

Publié dans Recueils de poèmes

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