Kitharedes

Publié le par Cristie Cyane

Kitharedes

LES  KITHAREDES       (1904)          Recueil 5

 

                            A mon Amie H.LC.B.

 

 

 

Korinna

    Pour tes… Hermès lutte un jour contre Arès.

    Grondant à la vérité fortement de colère…

    Et lui, s’étant montré, à la vérité détruisit la ville

    … est battu par des haches

 

 

 

Grondant en vérité d’une forte colère,

L’Arès un jour lutta contre l’Hermès ailé,

Pour ton rire, Aphrodite immortellement claire

Qui disposais ton corps sur le lit étoilé.

 

Les héros combattaient auprès des héroïnes,

Une pourpre de meurtre embrasait le Levant :

Mais toi, tu fis chanter les écailles divines,

Indifférence au choc des haches, et rêvant.

 

Les glorieux vaincus ensanglantaient l’argile :

La lance de l’Arès brûla, comme un éclair.
S’étant montré, terrible, il détruisit la ville.
Et toi, tu souriaient de voir briller la mer.

 

 

                                 ***

 

Et quelqu’un chantant de façon douce…

 

 

La terre est comme un vase étrusque,

     Fond rouge et dessin noir :

Dans la plaine où l’ombre s’embusque,

     Déméter vient s’asseoir ;

La flèche du couchant s’émousse

Sur les lichens et sur la mousse.

Quelqu’un, chantant de façon douce,

     A traversé le soir.

 

La nuit hésite sur le porche

     D’onyx et de lapis,

Et la résine de sa torche

     A des parfums d’iris.

Du crépuscule vert émerge

Quelqu’un chantant comme une vierge,

Et le mélilot de la berge

     Connaît ton pas, Myrtis.

 

Tes doigts caressent le kithare,

     Cherchant le rythme exact :

Sous la langueur du toucher rare

     Surgit l’hymne compact.
Tu te plais au beau simulacre

De la victoire et du massacre,

Et, plus rayonnant que la nacre,

     Brille ton corps intact.

 

La terre est comme un vase étrusque,

     Fond rouge et dessin noir :

Dans la plaine où l’ombre s’embusque,

     Déméter vient s’asseoir ;

La flèche du couchant s’émousse

Sur les lichens et sur la mousse.
Quelqu’un, chantant de façon douce,

     A traversé le soir.

*

            Est-ce que tu dors sans interruption ?

        En vérité, tu n’étais point avant, Korinna…

 

 

Dors-tu docilement dans le lit des années,

Musicienne dont la harpe résonna

Jusqu’au Temple très noir des sombres Destinées ?
N’étais-tu pas, avant, l’ardente Korinna ?

 

Se peut-il que l’Hadès aveugle te possède,

Et dont les yeux riaient du rire des bluets

Et des blés mûrs ?… O toi qui fus la Kitharède,

Dors-tu parmi les morts et leurs paktis muets ?

 

Les champs, que le soleil d’été martèle et frappe,

Te virent cependant, dans ta jeune beauté,

Dénouer tes cheveux où saignait une grappe

Et célébrer la vigne où s’empourpre l’été !

 

Un souffle olympien soulevait ta poitrine,

Tu chantais, et l’ardeur de ton vers étonna

La Parthène rigide et chryséléphantine…

En vérité, dors-tu, toi qui fus Korinna ?

 

 

 

… devant chanter de belles récompenses pour les femmes de Tanagra aux blancs péplos : et ma 

                    ville s’est grandement réjouie de mes chants au

                    babil harmonieux. 

 

 

Des roses ont neigé sur la plaine éblouie.
Dans l’air résonne encore un triomphe subtil ;

Ma ville s’est hier grandement réjouie

De mes chants de femme à l’harmonieux babil.

 

 

 

Les échos de ma lyre animaient les silences

J’étais déjà pareille aux rigides Paros,

Et mes strophes étaient vos belles récompenses,

Vierges ceintes de fleurs, femmes aux blancs péplos.

 

J’ai loué la valeur des graves héroïnes

Que l’immortelle main de Pallas consacra.
La foule aimait en moi les Piérides divines,

Et ma gloire épousait ta gloire, ô Tanagra.

 

 

            Thespia, de belle race, hospitalière, aimée des Muses…

 

 

Effeuillons les lauriers noirs comme tes prunelles,

Thespia ! moissonnons le myrte et le cerfeuil,

Car, pour glorifier tes paupières très belles,

Les Piérides tressaient leurs roses sur ton seuil.

 

Les pâtres te louaient, femme de belle race,

Et t’apportaient les fruits dorés de la saison.
Les étoiles brillaient, moins claires que ta face :

Tu fus hospitalière en ta noble maison.

Dans tout le glorieux pays, depuis l’aurore,

Les Aèdes ont célébré tes sourcils bruns.
La phorminx aux mains des Kitharèdes t’honore

Pour ta sagesse et ton sourire et tes parfums.

 

 

 

                        … Et je blâme aussi la mélodieuse Myrtis

de ce que, étant femme, elle entra en      rivalités avec Pindare.

 

 

Oh ! les flots empourprés que frappent les rameurs,

Et la Mort qui grimace à travers les murailles !

Pourquoi, Myrtis, jeter les sanglantes clameurs

Des buccins dominant le fracas des batailles ?

 

La gloire est un flambeau que le silence éteint.
O Myrtis, la victoire est une courtisane,

Et celui qui la frappe est celui qui l’étreint.
Le sage a le dégoût de son baiser profane.

 

Chante le soir, l’ampleur des collines et l’air

Pacifique, le temple où pâlit la pensée,

Et le flot qui frémit, plus troublant que la chair…
Ta voix consolera l’Aphrodite blessée.

Car la voix d’une femme, ô Myrtis, doit savoir

Moduler lentement ses langueurs incertaines,

Elle doit s’allier au silence du soir

Et se mêler au frais murmure des fontaines.

 

 

 

 

Myrtis

 

Le soir nuançait l’or d’Hellas

     De pourpre égyptienne :

J’offris la coupe d’Hypocras

     A la Musicienne…

Elle errait en riant, auprès

Des aloès et des cyprès

Et des roches aux bleus de grès,

     Myrtis l’Ionienne.

 

Elle évoquait les bords du Styx,

     Les asphodèles jaunes,

Où les sphinx aux ongles d’onyx

     S’étirent près des Faunes,

Et dans la strophe, comme un choc

De boucliers d’or contre un roc

Où le marbre sommeille en bloc,

     Luttaient les Amazones.

La mélodieuse Myrtis

     Aux paupières divines,

Livre ses cheveux de maïs

     Aux brises des collines.
Elle ressuscite, à travers

La blancheur de ses nobles vers,

Vigoureux comme les hivers,

     L’âme des héroïnes.

 

J’offris la coupe d’hypocras

     A la Musicienne,

Dont le vers mêle aux ors d’Hellas

     La pourpre égyptienne,

A la vierge qui passe auprès

Des aloès et des cyprès

Et des roches aux bleus de grès,

     Myrtis l’Ionienne.

 

 

Télésilla

 

 

                    Cette Artémis, ô vierges, fuyant Alphéos…

 

 

Cette Artémis, fuyant le désir mâle, ô vierges,

Tourna vers le lointain du sud ses yeux lassés.

Et ses pieds fugitifs illuminaient les berges,

Foulant avec dégoût les couples enlacés.

 

Ses longs rayons aigus perçaient l’ombre des rives

Et dardaient les venins, les terreurs et les maux,

Sur les hommes en rut et les femmes passives,

Luttant et se mêlant comme les animaux.

Car son orgueil se plaît aux jeux chastes et rudes

De la course à travers le ravin et le pré ;

Elle cherche l’effroi des larges solitudes

Où nul souffle mortel ne trouble l’air sacré.

 

 

 

ERANNA

 

 

                    Pompilos, poisson qui envoies aux matelots

                    une heureuse navigation, puisses-tu escorter du 

                    côté de la poupe ma tendre Maîtresse !

 

 

Pour que le vent soit doux comme ma caresse,

O poisson de bon augure, Pompilos,

Escorte la nef de ma tendre maîtresse,

         Orgueil de Lesbos.

 

Nage assidûment du côté de la poupe,

Et vois rayonner son visage divin…
Ses yeux sont des fleurs, ses lèvres, une coupe 

    De miel et de vin…

 

Escorte, jusqu’à la rive de Phocée,

Ma Maîtresse au front couronnée de cerfeuil…
Les thrènes, devant sa maison délaissée,

    Gémissent leur deuil…

Pour que le vent soit doux comme ma caresse,

O poisson de bon augure, Pompilos,

Escorte la nef de ma tendre maîtresse,

    Orgueil de Lesbos.

 

 

 

 

 

                    De tes enfantines mains, ces traits

 

Ces dessins, labeur de tes mains enfantines,

Evoquent le seuil fleuri de mélilot,

Où les chants venus des lointaines collines

    Traînaient leurs sanglots.

 

 

Les vierges d’Hellas cachent leur clair visage,

Etoiles devant la lune dans son plein,

Devant tes pieds nus, devant ton doux langage,

    Ton rire serein.

 

Ces lettres, labeur de tes mains enfantines,

Ont le charme vain et tendre d’un écho…
Dans l’ample Lydie aux limpides collines

    S’attarde Myrô. 

 

 

 

 

 

Excellent Prométhée, il y a aussi des humains qui t’égalent en habileté : qui que ce soit qui véritablement ait dessiné cette vierge, si l’on eût ajouté aussi la voix, c’était Agatharchis tout entière.

 

 

Celle qui grava ces paupières décloses

Ainsi que des fleurs, ces beaux doigts sans anneau,

Ce corps puéril, plus tendre que les roses,

    Plus souples que l’eau,

 

Eût-elle ajouté la voix qui sollicite

Et qui persuade, ainsi que le paktis,

Elle eût évoqué la splendeur d’Aphrodite

    Et d’Agatharchis.

 

 

 

 

Vous qui parlez peu, femmes aux cheveux

 

blancs, vous, fleurs de la vieillesse pour            les mortels…    

 

 

 

 

Femmes aux cheveux blancs que l’hiver caresse,

Vous que réjouit l’intimité du feu

Et du crépuscule, ô fleurs de la vieillesse,

    Vous qui parlez peu,

 

Vous avez la paix candide des années,

Vous êtes le chœur des vivants souvenirs :

Douces, vous tressez les couronnes fanées

    Des anciens désirs.

 

Vous vous attardez, comme autrefois, aux porches

Où Phoibos blondit la mousse et les lichens,

Et vous allumez en souriant les torches

    Rouges des hymens.

 

Vous aimez l’automne aux yeux bruns et la rouille

Des portes où le vent laisse un parfum salin :

 Vous filez, au chant de votre humble quenouille,

    La neige du lin.

 

La vierge respecte et craint votre sagesse,

Et votre saut est lent comme un adieu,

Femmes aux cheveux blancs, fleurs de la vieillesse,

    Vous qui parlez peu…

 

 

 

 

 

 

 

                    De ce côté, le vain écho traverse à la nage (le

                    fleuve) vers l’Hadès ; le silence (demeure) chez 

                    les morts, et l’ombre s’empare des yeux.    

 

 

Le vain écho nage aveuglément vers l’ombre

Où les plus beaux chœurs ne sont qu’un remous bref,

Où le souvenir le plus cher plonge et sombre

    Ainsi qu’une nef.

 

Lasse, la pleureuse, ivre de somnolence,

Auprès d’une stèle épuise ses transports ;

La cruche de deuil est vide, et le silence

    Règne chez les morts.

La myrrhe, fumant dans l’or des cassolettes,

Ne réjouit plus les jardins d’aloès ;

Les vierges sans voix tressent les violettes

    Blanches de l’Hadès.

 

 

Les baromos se sont tus sous les acanthes…
Rouillés et pareils à des miroirs ternis,

Les flots du Léthé reflètent les Amantes

    Aux bras désunis.

Perséphoné tisse en des trames funèbres

Les fils brisés des espoirs et des adieux.
Elle seule veille et songe, et les ténèbres

    S’emparent des yeux.

 

    Doux fut ce labeur d’Erinna…

 

 

Le couchant rougit, de son faste

     Cruel, ton bleu péplos,

Qui, dans ses plis, à l’ampleur chaste

     Et simple du Paros,

Et tes cheveux  de Néréide,

     Dont Psappha chantait l’or fluide,

Tremblent sous le vent qui les ride,

     Eranna de Télos.

 

Les nefs aux frissons de fantômes

     Dardent leurs mâts pointus ;

Les aromates et les baumes

     Concentrent leurs vertus ;

Tandis que s’empourpre la plaine,

Pâle, tu suspends ton haleine,

Et tes yeux cherchent Mytilène

     Dont les chœurs e sont tus.

Au-delà des rouges collines

     S’irisent les embruns :

Tu souris aux mains enfantines

     Que baignent les parfums,

Aux mains qui, par les soirs d’opales,

Gravaient ces lettres musicales,

Gazouillant comme les cigales

     Ivres de verts parfums.

 

Les pipeaux qu’un satyre affûte

     S’argentent, et le bruit

D’eaux et de feuilles de la flûte

     Susurre et coule et fuit.

Ton âme d’amoureuse écoute

Les voix errantes sur la route,

Et, prophétique, elle redoute

     L’approche de la nuit.

 

 

 

 

 

                        Cependant elle n’est point perdue pour la 

                                                             mémoire des hommes, ni cachée sous  

                                                              l’aile ombreuse de la nuit noire.

 

 

L’heure ardente et solennelle,

     Et Psappha, se penchant

Vers Eranna, pleure comme elle

     L’Adonis du couchant.
Parmi l’éclair des bandelettes

Et les tiédeurs des cassolettes,

La Tisseuse de Violettes

     Trame les fleurs du chant.

 

Au lointain, l’aimable hirondelle

     Pointe et darde son vol,

Et les prés ont la sauterelle

     Pour humble rossignol.

La vague meurt dans une étreinte ;

Sur la montagne, l’hyacinthe

Ensanglante de pourpre éteinte

     La matité du sol.

 

Psappha tourne vers sa disciple

     Son regard vaste et doux,

Profond comme le soir multiple

     Sur l’onde sans remous.
Elle parle, et l’ombre révère

La beauté de son front sévère :

Quelqu’un, dans l’avenir larvaire,

Se souviendra de nous.

 

 

 

 

Ode  à  la  Force

 

 

Fille de l’Arès, Constance belle et rude,

Tes yeux, où l’effroi du passé brûle encor,

Sont pareils aux yeux noirs de la solitude

     Sous ton réseau d’or.

 

Dans un ciel massif tu demeures, mortelle,

L’infini dans tes regards extasiés,

Que Sélanna règne ou que Phoibos attelle

     Ses fougueux coursiers.

Un pâle troupeau d’âmes crépusculaires,

Réprimant les pleurs et les lâches sanglots,

T’obéit, ô toi qui brises les colères

     Lascives des flots.

 

Tu vois sans terreur la tempête qui fume

Et le sang futur empourprer le Levant,

Toi qui sais dompter le tonnerre et l’écume

     Et le cri du vent.

Le Temps détruira les Dieux, mais le Temps même 

Ne changera pas ton sourire d’airain :

Tu sais opposer à l’Ananké suprême

     Ton mépris serein.

O toi l’Invaincue, ô toi l’Inaccessible,

Tes paupières ont le doux pli de la mort ;

Tu sembles rêver, telle en son lit paisible

     La vierge qui dort.

Tes Tempes sans fleurs ont dédaigné la palme.
Le couchant a moins de paix que ton orgueil,

Et le rocher moins de grandeur et de calme 

     Que ton grave seuil.

 

Semblable à la nuit où s’éteignent les flammes

Et les roux éclairs de l’astre révolté,

Enseigne aux héros l’endurance des femmes

     Et leur loyauté.

 

 

 

 

 

 

Damophyla  de  Pamphylie

 

L’ombre bleuit les monts sacrés

     D’où Phoibé, lente, émerge.
Ses rayons coulent sur les prés

     Comme l’eau sur la berge.

Pareil aux Pommes d’Or, le fruit

Du clair verger frissonne et luit ;

Damophyla parle à la nuit :

     « Je serai toujours vierge.

 « Psappha me brûle de ses yeux.
     Je toucherai, comme elle,

De mes bras étendus, les cieux

     Que l’or des nuits constelle.
Je verrai l’avant des vaisseaux

Sillonner la pourpre des eaux,

Et les Muses aux beaux travaux

     Me rendront Immortelle. »

 

Elle dit, le front détourné,

     Car l’être solitaire

Garde en son cœur prédestiné

     Le songe et le mystère ;

L’herbe a des bleus froids de lapis

Que percent des éclairs d’iris,

Et, triomphante, l’Artémis

     Illumine la terre.

 

 

 

 

 

 

TELESIPPA

 

Télésippa  à  Anagora

 

Tissons l’hyacinthe et l’iris 

     En des trames confuses ;

Je chanterai, sur le paktis,

     L’Aphrodite et ses ruses.
Lève tes paupières sans fard

D’où coule un limpide regard :

Nous avons une bonne part

     Dans les présents des Muses.

 

Ceins ton front chaste de lotos,

     Ainsi qu’une danseuse

Tanagréenne au blanc péplos.
De ta voix d’amoureuse

Chante le mélos, de ta voix

Défaillante comme autrefois…
Divine écaille, sous nos doigts

     Deviens harmonieuse.

 

 

 

 

NOSSIS

 

Nossis  à  l’Etrangère

 

                                                           Etranger, si tu navigues vers Mytilène aux   

                                                           beaux chœurs pour y cueillir la fleur des  

                                                           grâces de Sappho, dis-lui qu’une femme de 

                                                           Locres, chère aux Muses et à elle aussi, 

                                                           Enfanta d’autre (chants) pareils et que mon 

                                                           Nom est Nossis. Va.

 

 

 

Etrangère aux yeux noirs qui vas vers Mytilène

Où l’on cueille la fleur des grâces de Sappho,

Ecoute ! je te parle et suis à bout d’haleine…
Lorsque tu reviendras, fidèle comme Echo,

 

Parle-nous de la ville indolemment couchée,

Telle une courtisane aux voiles de byssus,

Qui s’allonge sur la couche molle, jonchée

De roses, de fenouil, d’iris et de crocus.

Vierge, dis à Sappho qu’une femme répète 

Les odes où s’attarde un sourire d’Atthis,

Qu’elle a chanté les vers du souverain Poète :

Etrangère, apprends-lui que mon nom est Nossis.

 

Dis-lui qu’en appelant sa caresse inconnue,

J’ai sangloté d’amour sous mes cheveux épars,

Que je la vois, pareille à l’Aphrodite nue,

Dis-lui que je l’attends et que je l’aime… Pars !

 

 

 

 

 

A  Eros

 

                                                           Rien n’est plus doux qu’Eros, et tout ce qui 

                                                           est heureux vient après. J’ai craché de ma  

                                                           bouche même le miel. Et voici ce que dit 

                                                           Nossis ; Celle que Kupris n’a point aimée 

                                                           ne sait pas quelles fleurs sont les roses.

 

 

 

Vierges et femmes, rien n’est plus doux que l’amour.
Les Kharites aux bras blancs, et les jeunes Heures,

Les Piérides au front ardent comme le jour,

Et l’Aurore aux pieds nus, lui sont inférieures.

Je dédaigne le vin, je méprise le miel,

Je ne veux que le goût des baisers à ma bouche ;

Ni les frissons de l’eau ni les remous du ciel

N’égalent l’ondoiement de ta chair sur ma couche.

Celle qui dédaigna le rire de Kupris

Et qui n’a point connu son lit de Violettes

A le front gris des Mots. Ainsi parle Nossis

Dont l’Eros enduisit de cire les tablettes.

 

Celle qui ne craint point à l’égal du trépas

Les aubes sans caresse et les nuits ans murmure,

O Déesse aux yeux bleus ! celle-là ne sait pas

Quelles fleurs sont les roses de ta chevelure !

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


 

 

Epitaphe  sur  Rhinthon

 

                                                      Et, ayant ri aux éclats, tourne-toi vers moi et 

                                                      dis-moi une parole amicale. Je suis Rhinthon 

                                                      de Syracuse, chétif rossignol des Muses, mais

                                                      des bouffonneries tragiques nous avons cueilli 

                                                      notre lierre personnel. 

 

 

 

J’ai ployé sous le poids accablant de la lyre,

Et j’ai pleuré jadis des vers sans lendemain :

Murmure une parole amicale, et d’un rire

Réjouis mon silence, et passe ton chemin.

Moi, qui fus un chétif rossignol des Piérides,

J’ai chanté le printemps au lumineux retour ;

La lune me baigna de ses remous limpides,

J’ai vécu fervemment mes bleus minuits d’amour.

 

Je vis blondir Phoibé radieusement nue…
Aujourd’hui je sommeille au pied des aloès

Et des rudes cactus : et mon ombre inconnue

Erre dans la forêt muette de l’Hadès.

 

J’allumai pour l’hymen la torche qui flamboie,

Mes pampres ont orné le glorieux autel…
Un peu de cendre obscure… et pourtant de ma joie

Tragique je cueillis mon lierre personnel…  

 

 

 

 

A  Héra

 

                                                      Déesse vénérable, toi qui souvent descendant 

                                                      du  haut du ciel, contemples le sanctuaire 

                                                      parfumé de Lacinium, reçois le vêtement du 

                                                      lin le plus fin que, avec son illustre fille Nossis

                                                      tissa pour toi Theuphilis, fille de Kléocha.

 

 

Bienheureuse Héra, la Très-Belle et l’Auguste,

Qui daignes contempler de tes regards puissants

Le glorieux naos que parfumes l’encens,

Levant ton front d’ivoire où le béryl s’incruste,

 

Accepte en souriant cette robe de lin

Que les mains de Nossis tissèrent sous l’acanthe,

Nossis aux beaux sourcils, dont les cheveux d’amante

S’empourprent à l’égal du couchant et du vin.

 

 

 

Sur  l’image  de  Sabaithis

 

                                                          Elle est reconnaissable même d’ici. Voyez 

                                                          de Sabaithis c’est l’image par le corps et 

                                                          l’âme magnanime. Regarde cette sérénité ; 

                                                          je crois voir aussi sa douceur. Réjouis-toi

                                                          beaucoup, femme heureuse.

 

 

Ceux qui ne l’ont point vue admirent Sabaithis.
Lointaine, on la contemple en sa beauté présente :

Voici ses bras de rose et ses yeux de lapis

Et ses cheveux dorés que la brise tourmente.

Passant, arrête-toi devant ce frais regard

Que la claire sagesse anime de sa flamme,

Et dans ces traits, plus doux que le  miel et le nard,

Reconnais la splendeur visible de son âme.

 

Garde la douce paix sur ton front, et souris

En ta double splendeur de vierge et d’amoureuse,

Immortelle au milieu des rosiers défleuris…
Salut à ton triomphe, ô femme bienheureuse !

 

 

 

 

 

Sur  le  réseau  de  Samytha

                    

                        Il a paru qu’Aphrodite avait reçu avec joie, 

                                                      en offrande ce réseau de cheveux de Samytha. 

                                                      car il est ingénieusement travaillé, et a une

                                                      douce odeur de nectar, de ce (nectar) dont elle 

                                                      oint aussi le bel Adonis.

 

 

Dans l’ombre, d’où l’autel paré de flamme émerge

L’offrande a réjoui la blanche Aphrodita :

Ce réseau, parfumé des cheveux d’une vierge,

Ce réseau qui ceignit le front de Samytha.

 

Le filet, savamment tissé par ses compagnes,

A l’odeur du nectar que tu versas jadis,

O Déesse ! en l’azur des célestes montagnes,

Sur le corps puéril et souple d’Adonis.

 

Comme le mélilot et l’iris de la berge,

Ce filet réjouis la claire Aphrodita, 

Car il est parfumé des cheveux d’une vierge,

Car il ceignit le front doré de Samytha.

 

 

 

Sur  une  image  d’Aphrodit

 

                                                       Kallo, ayant dessiné une image sur cette 

                                                       planche, l’a offerte à la demeure de la blonde

                                                       Aphrodita, que cette image représente. 

                                                       Combien elle est doucement figurée ! Vois

                                                       comme y fleurit la grâce. Réjouis-toi : car elle

                                                       n’a aucun reproche dans sa vie.

 

 

La Déesse a jaillit des mains de la mortelle,

Ressuscitant son rire immortellement clair,

Plus blanche que l’écume et les embruns, et telle

Que la virent jadis le soleil et la mer…
La Déesse a jailli des mains de la mortelle.

Car ainsi la voulut et la rêva Kallo,

Qui jadis vit monter jusqu’à son apogée

Hespéros, et plus tard, dans un tremblant halo,

Le char de Sélanna descendre vers l’Egée ;

La Déesse a fleuri le songe de Kallo.

 

Les patientes mains qui pétrirent l’argile

Achevèrent enfin leur labeur triomphal.
Tu t’échappas, Kupris, dont l’haleine distille

L’ambre artificiel et le miel végétal,

Des patientes mains qui pétrirent l’argile.

La statue a surgi de l’ivoire et de l’or…
Et frissonnants, autour de ta forme divine,

Les passereaux, de l’aube ont pris leur prompt essor.
L’Aphrodita, debout et chryséléphantine,

Illumine les flots gris de ses cheveux d’or.

Et les regards levés sur la Déesse nue,

La vierge est morte, ayant accompli son désir,

Car les penseurs brûlés de la fièvre inconnue

Qui réclament le songe impossible à saisir,

Meurent, les yeux levés sur la Déesse nue.

 

 

 

                                                            … une femme de Locres… enfanta 

                                                             d’autres (chants) pareils…

 

Moi, la Kitharède de Locres

     Dont la voix triompha,

Dans le jour de safrans et d’ocres

     Qui trace son alpha,

Et dans le couchant d’écarlate

Où l’âme des oeillets éclate

En véhémences d’aromate,

     Je suis chère à Psappha.

La Prêtresse unique et multiple

     Vint hier me choisir

Pour amoureuse et pour disciple

     D’angoisse et de plaisir,

En me disant : « Vers les soirs tièdes,

Chante à la façon des Aèdes

La compagne que tu possèdes

     Et qui fut ton désir.

 

« Dors sur le sein de ta maîtresse,

     Comme moi près d’Atthis,

Lorsque la Nuit aux yeux bleus tresse

     Ses couronnes d’iris… »

Par les tremblantes accalmies,

Ma voix aux craintes raffermies

Reprend les beaux chœurs des Amies,

     Et mon nom est Nossis.

 

 

 

                                                               … chère aux Muses et à elle aussi…

 

O Lesbos,  je suis chère à Psappha l’Immortelle.
Elle entend, dans l’Hadès, mes fugaces accords

Et la vierge de mon désir lui semble belle.
Elle sourit parmi le nuage des Morts,

Quand je viens, attisant les tièdes cassolettes,

    Cueillir ses violettes.

 

Je t’ai cherchée, ô fleur des Kharites ! ô toi

Qu’on désire à travers les formes adorées,

Dans le mélos ployé sous une exacte loi

Et dans les flots sereins d’une mer sans marées,

Dans le rêve des gris oliviers, dans le chant

    Funèbre du couchant.

Je n’ai point écouté les faiseurs de mensonges

Dont le souffle a terni la clarté de ton nom :

Je suis venue avec mes parfums et mes songes,

En répandant le lait de la libation,

Et je t’ai dit : « Voici les roses que je tresse,

    Et voici ma jeunesse. »

 

Seule dans mon orgueil d’amour, j’ai méprisé 

Les silences amers, les rires et les blâmes,

Et, pieuse disciple, à ton autel brisé,

J’ai rallumé l’ardeur expirante des flammes :

J’ai tissé le fenouil, la rose et le cerfeuil

    En guirlandes de deuil.

N’as-tu point dit, jadis, devant les cieux d’opale,

Caressant Eranna courbée à tes genoux,

Et mêlant tes cheveux noirs à ses cheveux pâles :

« Quelqu’un, dans l’avenir, se souviendra de nous.
Les Muses, à qui plaît la voix des amoureuses,

    Nous firent glorieuses. »

 

 

                                                                … mon nom est Nossis.

 

 

Que mon salut te suive au-delà de la mer

Et des couchant de pourpre, ô femme qui navigues

Vers Mytilène aux murs vivants comme une chair,

Vers la Rive couchée en ses roses prodigues,

Qui recueille les noms jeunes et le printemps.

    Des hymnes consentants.

 

Eranna de Télos s’attarde dans la ligne

Féminine de la crique, sa brève voix

Chante plaintivement le petit chant du cygne.
Parfois, ressuscitant les baisers d’autrefois,

Elle erre, les cheveux défaits, sous l’aile ombreuse

    De sa nuit d’amoureuse.

Pars, Etrangère, annonce à l’ardente Sappho

Qui jaillit des Temps bleus, unique Fleur des Grâces,

Que, lente, j’ai tissé des strophes sans défaut

Lorsque sur le métier retombaient mes mains lasses,

Et dis, en apportant les couronnes d’iris,

    Que mon nom est Nossis.

 

 

 

 

PRAXILLA

 

Adonis

                                                           

        J’abandonne à la vérité la lumière très

                                                          belle du soleil, ensuite les astres brillants et 

                                                          le visage de la lune, et aussi les concombres

                                                          de la saison et les pommes et les poires.

 

Je quitte en gémissant la lumière très belle

Du soleil, et la grotte où l’azur vient pleuvoir,

Les prés où la cigale attend la sauterelle,

Les pipeaux de l’aurore et les flûtes du soir.

 

J’abandonne le rire attentif de la Lune,

L’éloge de la foule et l’accueil des amis,

Des vierges dénouant leur chevelure brune

Dans le jardin nocturne aux parfums endormis.

Les fils enchevêtrés des lueurs et des ombres

Ne m’enlaceront plus de leurs tissus légers,

L’ardeur des grappes et la fraîcheur des concombres

Ne m’attireront plus vers les brillants vergers.

 

Je ne cueillerai plus les pommes ni les poires,

Je ne mirerai plus mes yeux noirs dans le flot

Qui me taquine avec des appels illusoires,

Je ne m’étendrai plus parmi le mélilot…

Mais dites : « Praxilla ne meurt pas tout entière,

Car ses chants font s’unir les lèvres et les mains,

Et son âme s’attarde en un peu de poussière

Sous les beaux oliviers qui bordent les chemins. »

 

 

Poème  d’Amour

 

 

 

 

                                                                       O toi qui jettes un beau regard à

                                                                       travers les fenêtres, vierge par la 

                                                                       tête, femme par en bas…

 

 

 

 

 

O toi qui savamment jettes un beau regard,

Bleu comme les minuits, à travers les fenêtres,

Je te vis sur la route où j’errais au hasard

Des parfums et de l’heure et des rires champêtres.

Le soleil blondissait tes cheveux d’un long rai,

Tes prunelles sur moi dardaient leur double flamme ;

Tu m’apparus, ô nymphe ! et je considérai

Ton visage de vierge et tes  hanches de femme.

 

Je te vis sur la route où j’errai au hasard

Des ombres et de l’heure et des rires champêtres,

O toi qui longuement jettes un beau regard,

Bleu comme les minuits, à travers les fenêtres.

 

 

 

 

ANYTA  DE  TEGEE

 

 

Sur  une  offrande  d’Echécratidas

 

 

                                                           Reste ici, homicide (lance) de bois de

                                                           cornouiller, et ne répands plus le triste

                                                           meurtre des ennemis autour de ton ongle 

                                                           d’airain : mais fixée dans la haute demeure

                                                           en marbre de l’Athéna, dis la bravoure du 

                                                           Crétois Echécratidas.

 

 

 

Quittant l’air troublé que laboure

     Le glaive aux éclairs froids,

Redis au peuple la bravoure 

     Du valeureux Crétois.
Repose en paix, ô rouge lance !

Evoque, dans la somnolence

De ces murs au grave silence,

     Les combats d’autrefois.

 

Dans l’ombre que l’encens parfume,

     Près de l’autel serein,

Tu regrettes le sang qui fume,

     Et le choc souverain ;

Sur la plaine où le jour s’efface,

Mélancoliquement tenace,

Tu ne dresses plus la menace

     De son ongle d’airain.

 

Ici, le soir fumeux attriste

     De son rire fané

Le sanctuaire d’améthyste

     Et de jaspe veiné.
Repose dans la ténèbre ample

Et pacifique de ce temple,

Où la vierge aux bras blancs contemple

     L’image d’Athéné.

 

 

 

 

ANYTA  DE  MYTILENE

 

                                                        A Pan aux cheveux hérissés et aux nymphes

                                                        protectrices des bergeries, Theudotos, qui 

                                                       fait paître les brebis, offrit ce présent sous son

                                                       lieu d’observation. C’est parce que, un jour

                                                       qu’il était grandement fatigué par l’été                    

                                                       desséchant, elles le reposèrent, lui ayant

                                                       présenté dans leurs mains une eau douce 

                                                       comme le miel. 

 

 

 

 

D’invisibles pipeaux charment ma solitude.
Le soir voit défleurir le mélilot des prés.
O nymphes aux yeux verts, et toi, Pan au poil rude,

Je vous offre ces fruits que l’automne a dorés.

Lorsque j’ai convoité la fraîcheur des fontaines,

Etendu sur la roche et las des longs chemins,

Vous m’avez apporté l’eau des sources lointaines,

O nymphes ! dans le creux frissonnant de vos mains.

Je n’ai plus redouté l’aridité des sables,

Bouclier d’or où se double l’airain du ciel,

Car j’ai bu longuement, dans vos mains pitoyables,

L’eau claire qui me fut plus douce que le miel.  

 

 

 

 

                        Moi, Hermès, j’étais debout près du jardin

                                                             ouvert aux vents, au croisement de trois

                                                             chemins, près de la mer blanchissante,

                                                             offrant aux hommes fatigués une halte 

                                                             dans leur route : et une source pure leur

                                                             verse une eau fraîche.

 

 

Ici, dans le verger où se croisent les vents,

Près du sable blanchi par le sel et l’écume,

J’accorde le repos, loin des étés fervents,

Sur l’herbe aux frissons doux que le cerfeuil parfume.

Nul vent ne fait trembler les beaux pommiers fleuris,

La charmante langueur du mélilot s’exhale,

Et, baignant l’aloès et le vert tamaris,

La fontaine jaillit, riante et virginale.

Moi, l’Hermès dont les yeux suivent les flots d’étain,

Sur mon socle de pierre aux bords moussus, j’écoute

Le chant de l’eau plus clair que le pipeau lointain,

Et les pâtres lassés font halte dans leur route.

 

 

                                                        Ce lieu est à Kupris, puisqu’il lui fut toujours

                                                        cher de voir du  continent la mer brillante,

                                                        afin qu’elle puisse accorder une navigation 

                                                        heureuse aux matelots ; et tout autour, la mer

                                                        tremble, voyant la radieuse statue.

 

 

Sur les rocs ont erré les  pieds nus de Kupris.

Elle aime à contempler, du haut de la falaise,

Les ondes déployant leurs violets d’iris

Dont l’immortel ennui s’exaspère et s’apaise.

Sur les flots ont erré les pieds nus de Kupris.

La vague a reconnu la voix de la Déesse

Qui jaillit autrefois du délicat embrun,

Blonde sous le jour blond que la tiédeur oppresse,

Et respirant l’iode ainsi qu’un frais parfum.
La vague a reconnu la voix de la Déesse.

Son image a dompté le courroux de la mer.
Elle accorde la paix et le soleil aux voiles,

Et, souriant aux nefs de son visage clair,

Elle fait resplendir les nuits belles d’étoiles.
Son image a dompté le courroux de la mer.

 

 

 

 

                                                           … appelant l’âme chère de Philainis, qui 

                                                           avant le mariage, marcha vers l’onde verte

                                                           du fleuve de l’Achéron. 

 

 

 

La vierge Philainis traversa les Eaux vertes

De l’Achéron, sans voir les flambeaux de l’hymen,

Et les lys sont tombés d’entre ses mains ouvertes.

Sur la stèle de deuil pleure le cyclamen.
Avant de voir brûler les flambeaux de l’hymen,

La vierge Philainis traversa les Eaux vertes.

Dans les prés où la lune efface le soleil,

La vierge Philainis tresse les asphodèles.
Perséphona, fermant les yeux noirs du sommeil,

Rouit le lin parmi ses compagnes fidèles,

Et parfois, en rêvant, cueille les asphodèles

Dans les prés où la lune efface le soleil.

 

 

 

A.    -  Pourquoi, ô Pan agreste, assis près de la

         fontaine où vont les brebis, joues-tu de 

         ce chalumeau harmonieux ?

B.    -  Afin que sur ces monts couverts de rosée

         les génisses paissent, broutant les épis à  

         la belle chevelure

 

 

 

A

 

Tu respires l’odeur de l’herbe et de la terre,

Et ta flûte s’exhale en des frisons légers…
Pan rustique, pourquoi demeurer solitaire,

Assis dans le bois sombre à l’écart des bergers ?

 

 

B

 

Je taille les pipeaux où traîneront mes lèvres,

Moi, dieu de l’hyacinthe et de l’épi barbu…

Et mes simples chansons attireront les chèvres

Vers l’ombre et la rosée où les Nymphes ont bu.

 

 

 

 

 

Sur  un  dauphin

 

 

                                                     Jamais plus réjoui des ondes propres à la

                                                     navigation, je ne lancerai mon cou, bondissant

                                                     du fond de l’eau, ni je ne soufflerai avec force

                                                     de mes belles lèvres le long des tolets du

                                                     navire, charmé de mon torse. Mais la fraîcheur

                                                     empourprée de la mer m’a poussé sur la terre

                                                     ferme, et je gis sur ce rivage délicat.

 

 

Le souffle de la mer, adouci par le soir, 

Ne réjouira plus mes lèvres et mes joues,

Et je ne verrai plus, le long des belles proues,

Mon image, comme en le métal d’un miroir.

 

Je ne monterai plus des profondeurs marines,

Je ne m’ébrouerai plus au soleil du matin,

Je ne me plairai plus au sourire enfantin

De l’aurore, jouant avec ses cornalines.

O passant, j’ai quitté le transparent émail

Des flots, où le vent pleure en d’étranges syllabes,

Où grouille obscurément la détresse de crabes,

A travers le soir gris que bleuit le corail.

Car le bondissement des courants implacables

M’a jeté sur la rive aux longs varechs flottants.
voici la Mort au front paré d’algues, - j’attends,

Hors d’haleine et couché sur le velours des sables.

 

 

 

MOIRO

 

Offrandes  à  l’Aphrodite

 

                                                         Sois placée sous le portique d’or de

                                                         l’Aphrodita, ô grappe, pleine de la sève de

                                                         Dionysos : ta mère, t’ayant fait naître sur

                                                         le sarment aimable, ne produira plus sur ta

                                                         tête sa feuille de nectar.

 

 

O grappe, que l’ardeur des soirs ensanglanta

De chauds reflets, repose en ta pourpre moiré

Sous le portique d’or de la Maison sacrée

Où, les yeux triomphants, règne l’Aphrodita.

Tu bleuissais parmi  les fauves chevelures

Des Bacchantes, ô grappe à l’haleine de miel,

Par les soirs opulents, où la terre et le ciel

N’étaient plus qu’un verger bourdonnant de murmures.

La vigne, qui berçait ton odorant sommeil,

Ne te courbera plus sous l’étreinte des vrilles,

Et tu n’offriras plus aux brunes jeunes filles

Ta coupe où débordait la sève du soleil.

 

 

 

 

 

Sur  les  Nymphes  de  l’Anigros

 

 

                                                           Nymphes de l’Anigros, vierges du fleuve, 

                                                           qui, divines, foulez constamment ces

                                                           profondeurs de vos pieds de rose, 

                                                           réjouissez-vous et soyez favorables à

                                                           Kléonumos, qui vous éleva sous  les pins,

                                                           ô Déesses, ces belles statues de bois.

 

 

Vierges de l’Anigros, nymphes aux pieds de rose,

Vous, dont la forme ondoie au gré du flot changeant,

Et qui faites briller les écailles d’argent

Des lumineux poissons, nymphes aux pieds de rose,

 

Venez, vous qui riez à travers les roseaux !

Car, sous les pins taillés comme une vigne enclose,

Votre image sculptée a réjoui les eaux.
O nymphes qui riez à travers les roseaux !

 

 

 

 

 

Charixéna

 

 

Tu goûtas l’amour sous l’érable

     Qu’un soir fana,

O très antique, ô vénérable

     Charixéna.

 

Ta flûte murmura ses peines,

     Et résonna

Comme la brise dans les chênes,

     Charixéna.

 

L’ombre, sur ton épaule nue

     Qui frissonna,

Apportait la fièvre inconnue,

     Charixéna.

 

Ta bouche de Musicienne

     S’abandonna

Dans l’ardeur d’une nuit ancienne,

     Charixéna.

 

 

 

 

Kléobulina

 

Quand, d’un geste, le soir fait taire

     La flûte et la syrinx,

Tu sais embrumer de mystère

     Tes prunelles de lynx.
Tandis que la ténèbre englobe

Les plis fugitifs de ta robe,

L’énigme prompte se dérobe

     Sur tes lèvres de sphinx.

L’ombre fait vaciller la flamme

     De tes yeux d’un bleu noir.
Ta voix où s’attendrit ton âme,

     Vague comme l’espoir,

Et qui pactise avec la rude

Et pitoyable solitude,

Sait imiter l’incertitude

     De la mer et du soir.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Publié dans Recueils de poèmes

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